Croque Note

Lancé en janvier 2019,  Croque Note propose à ses lecteurs des mises en dessin de ses albums préférés et tout juste sortis. Chaque mois, des planches fleurissent sur le site, et entre deux parutions, Croque Note s’écoute en playlists et se grignote en petites cases sur les réseaux sociaux. Quelques questions à Florian San Filippo, l’auteur qui se cache derrière nos petits écarts musicaux. 

Entretien avec Florian San Filippo / Croque Note

Comment Croque-note fonctionne ?

Croque Note est un projet créatif que j’ai lancé en Janvier 2019 en toute autonomie. Il vise à porter un regard alternatif sur une portion sélectionnée de l’actualité musicale internationale. Croque Note est un web-média qui propose aux amateurs de musique comme de dessin des créations à la fois ludiques, poétiques et critiques. Derrière Croque Note, il n’y a qu’une personne, moi-même. Ce n’est pas un collectif d’auteur mais plutôt un pseudonyme, un nom d’artiste. Bien que ce projet soit un projet amateur, qui se créé et évolue lors de mon temps-libre, je souhaite qu’il soit actualisé fréquemment. C’est pourquoi je m’applique à produire environ deux planches par mois, ainsi qu’à proposer du contenu additionnel sur les réseaux sociaux (petites évocations en 3 cases, playlist hebdomadaire). Le cœur de Croque Note est la création d’une planche de BD (une page et une seule) qui met en dessin un album que j’ai découvert et particulièrement apprécié, et qui est sorti au cours de l’année, si possible tout récemment. La planche est réalisée en intégralité par ordinateur, à l’aide d’une tablette graphique et d’un logiciel adapté (Photoshop). Jusqu’à tout récemment, mes planches étaient uniquement publiées sur mon blog et sur les réseaux sociaux (Facebook et Twitter). Début Juin, j’ai eu l’opportunité de devenir bénévole pour un webzine culturel, « BenzineMag ». Le Webzine publie désormais mes planches. Cela permet de gagner en visibilité, dans un monde numérique où il est difficile de communiquer efficacement, spécifiquement et constamment.

Entretien avec Florian San Filippo / Croque Note

Pourquoi traiter la musique en BD ?

Pendant longtemps, j’ai traité ces deux passions – musique et BD – de manière totalement déconnectée. Je griffonnais des dessins sur mes cahiers de classe ou des feuilles volantes, et écoutais énormément de musique en solitaire ou presque. Ce n’est que très récemment, lors d’une conversation familiale, que mon père a émis l’idée de concilier ces deux domaines. Je me suis vite rendu compte que ce format était singulier et détenait un véritable potentiel créatif. Les artistes de BD qui traitent de musique sont peu nombreux, et encore plus rares sont ceux qui approchent la musique avec une dimension quasi journalistique, en décidant de traiter d’un album dans  l’actu musicale sous la forme d’une planche BD indépendante. Je n’ai pas vu d’équivalent francophones sur le net et c’est cette intuition très personnelle d’avoir « déniché une niche artistique » qui m’a poussé à créer Croque Note. Traiter la musique en BD est aussi rare qu’exigeant, c’est même quelque chose de totalement subjectif et hasardeux. Etant donné que l’appréciation musicale est du ressort du personnel, sa mise en BD l’est tout autant, plus encore même car à l’album on rajoute une interprétation graphique toute personnelle. Je pense néanmoins que le rapport à l’intime est plus une force qu’une contrainte. Du moment où le lecteur-auditeur comprend qu’un tel projet ne prétend aucunement dicter le bon goût musical ou graphique (et se distingue de l’approche journalistique critique), le traitement de la musique en BD devient un exercice passionnant. La musique évoque toujours des souvenirs, des paysages, des émotions, elle fait appel à notre imaginaire et créée une imagerie mentale. Musique et image sont intimement liées. Le fait de tenter de transposer cette imagerie mentale en dessin est très intéressant. Alors pourquoi la BD spécifiquement, et pas une forme moins académique de dessin ? C’est parce que j’ai toujours eu un faible pour les BD, avec une envie secrète d’en créer, et aussi parce que ce format est accessible et ludique pour un maximum de personnes. Il permet également d’allier des mots aux images, et ainsi se rapprocher au maximum d’une « chronique musicale en BD ».

Quelles sont vos influences BD ?

Derrière le projet Croque Note, il y a une quinzaine de planches créées en 6 mois, et quelques « 3 cases » que j’ai nommé « évocations ». Mes influences BD pour la création de ces chroniques sont variées. Mon « coup de crayon » est très porté sur la création de visages cartoonesques, dont les gros pifs sont à coup sûr hérités de Charb ou d’Uderzo, les grimaces de Gotlib, la naïveté de Zep et la crasse de Jean-Louis Mourrier. Ces auteurs de BD sont ceux dont j’ai dévoré les cycles étant gamin : de Asterix à Trolls de Troy en passant par les incontournables du gag, Titeuf, Garfield, et j’en passe. Au-delà de ces classiques, je redécouvre actuellement, et totalement grâce à la motivation que Croque Note a suscité, le monde de la BD et du roman graphique. J’ai récemment été très impressionné par la saga Blast de Manu Larcenet, les BD de l’italien Gipi ou par des publications récentes telles que L’âge d’Or de Cyril Pedrosa ou Les cent nuits de Héro de Isabel Greenberg. Ces apports plus adultes m’ont permis de m’essayer à des dessins plus complexes et ambitieux, moins cartoonesques, plus sombres et oniriques. Outre les dessins, toutes ces nouvelles lectures me plongent dans des univers mélancoliques, intrigants, poétiques et vivants qui me plaisent énormément et marquent mes créations. Cette double-influence, entre classiques d’enfance et découvertes d’adulte, me permettent de toujours expérimenter, d’apprendre et de tenter. Croque Note n’a aucune barrière graphique imposée. Je cherche encore mon style et aime jongler entre des choses très variées, avec mes facilités et mes faiblesses. Pour l’instant cela me convient parfaitement ! Je n’ai jamais pris de cours de dessin, et me retrouve souvent frustré devant une idée que je n’arrive pas à poser correctement à l’écran. Mais l’énorme liberté d’expression qu’offre la BD contemporaine accorde une chance à tous les niveaux. La technique ne prime plus forcément, et heureusement. La sincérité, l’inspiration et l’originalité sont des facteurs bien plus intéressants.

Le dessin est-il adapté à la critique musicale ?

C’est une question que je ne cesse de me poser après chaque planche créée ! Effectivement, je ne sais pas si le dessin est un art adapté à la critique musicale. C’est en tout cas une approche originale pour « critiquer » une musique, ou plutôt pour tenter d’en faire ressortir l’ambiance. La musique évoque toujours des images (et des mots). Là où c’est délicat, c’est de réinterpréter la musique d’un artiste avec son propre dessin, sa propre histoire, ses propres mots. Mes planches sont rarement faites d’une chronique carrée et explicite, mais tissent très souvent une histoire autour de l’album sélectionné. Elles sont évocatrices et prennent une marge de liberté considérable avec l’album, son thème, ses sujets lyriques ou ses messages instrumentaux – même si elles tentent de s’en inspirer. Certaines données sont des bons indicateurs des « messages » d’un album : les paroles (s’il y en a), la pochette, les dires de l’artiste sur son travail et, bien entendu, les morceaux eux-mêmes. Toutefois, il est difficile de vraiment savoir ce qu’un artiste met derrière ses chansons, c’est si personnel. C’est pourquoi je préfère mettre en image ce que l’album m’évoque personnellement plutôt que rechercher quelle a été la vision de son créateur, car ces données-là, nous ne les avons presque pas, il serait très prétentieux, souvent impossible même, de prétendre y accéder.

Quels sont les enjeux de la mise en dessin d’une chanson ?

Ils sont multiples, et parfois difficiles à cerner ! Je me permets une petite parenthèse, je préfère raisonner en « mise en album » et non « mise en dessin ». Je fais un peu partie de cette école qui pense qu’une chanson n’a vraiment de sens que structurée dans l’album entier, et que l’album est un « tout pensé » qui prime sur une chanson isolée, qu’au final les chansons sont peu décloisonnables de l’album. C’est pour ça que dans mes planches, je ne parle jamais d’une chanson spécifique, je ne l’ai en tout cas pas encore fait.

L’un des enjeux principaux de la mise en dessin d’un album est de faire jaillir des tas d’idées et d’atmosphères différente, quelle que soit le style de musique. Au contraire, plus les styles abordés sont variés, plus le dessin peut être différencié et foisonnant. J’ai la chance d’avoir un spectre très large de gouts musicaux, bien que je sois obligatoirement orienté par des préférences. Mettre en dessin des musiques plutôt indépendantes, qui sortent des grosses productions radio et des goûts très populaires, prend tout son sens ! Parler de post-rock, d’IDM, d’ambient ou de metal est très stimulant lorsqu’on le dessine, car ça rend ces musiques « underground » (certains diront exigeantes, cérébrales ou élitistes) accessibles à tous, alors qu’elles ne le sont pas forcément. Le dessin est un langage universel, il peut donc s’amuser à parler de styles musicaux parfois très cloisonnés, il peut s’amuser de ces communautarismes pour les dénoncer et les exploser. Le parti-pris de Croque Note de chroniquer toute sorte de style va un peu dans ce sens : ouvrir les mélomanes à un maximum d’éclectisme et de pluralisme musical. Tout style recèle ses pépites, et il serait dommage d’en bouder une partie par préjugé ou méconnaissance.

De même, un autre enjeu est l’accroche que la mise en dessin de la musique procure. Le dessin parle tout de suite plus rapidement, plus intuitivement et de façon plus ludique qu’un texte. Chroniquer un album en dessin a une force communicatrice très forte. Les gens ne prennent pas forcément le temps de lire des pavés de chroniques écrites, aussi pertinentes soient-elles. Lorsqu’ils aperçoivent une planche BD, ils sont d’emblée plus attirés par elle. La difficulté sera après à ce qu’ils écoutent l’album en question, cette démarche est le fruit de leur volonté-propre. S’ils le font, c’est que le défi a été relevé : celui d’intéresser les lecteurs à des albums (et logiquement des artistes et styles) qu’ils sont susceptibles de peu/pas connaître.

Propos recueillis par Nemo Lieutier

Aller à la barre d’outils